Les religions dans la Grande Guerre
Les chrétiens dans la Grande Guerre
À l’annonce de la mobilisation, en août 1914, les croyants répondent à l’appel. Durant la Première Guerre mondiale, 23 000 prêtres sont aux côtés des poilus. Au contact de la mort et de la souffrance, la pratique religieuse évolue. Dans les tranchées, une nouvelle forme de vie chrétienne voit le jour.
Dimanche 2 août 1914, second jour de la mobilisation. Loÿs Roux (32 ans) et son frère Joseph (33 ans), prêtres lyonnais mobilisés, sont acclamés par de jeunes socialistes qui leur serrent la main : « On a crié “À bas la calotte ! À bas les trois ans !” Maintenant on est tous amis, tous frères ! »
À l’image des poilus, les Roux sont déterminés : « On fera son devoir mon vieux. Je suis infirmier. Mais si je peux utiliser le Lebel (fusil, NDLR), je n’y manquerai pas », confie Loÿs à un compagnon. Il ajoute dans son journal : « Ces gens-là ont l’air de découvrir le prêtre. Ils ne l’imaginaient pas si patriote ni si simple. »
En quelques phrases vives, Loÿs Roux – dont le musée des Manuscrits, à Paris, a mis en lumière l’important témoignage d’aumônier-infirmier et de reporter-photographe de guerre – résume l’état d’esprit des citoyens français à l’aube du conflit mondial. « L’Union sacrée qui se noue pour défendre la patrie n’est pas seulement politique. Elle réunit laïcs et croyants de toutes les religions », explique Xavier Boniface, auteur d’une Histoire religieuse de la Grande Guerre.
(Sophie Laurant, Le Pèlerin, février 2019, mis à jour novembre 2020)
Prêtres et religieux, héros de 14-18
Lorsque la guerre est déclarée début août 1914, l’Église de France manifeste son patriotisme en dépit d’un anticléricalisme encore très présent. Elle encourage les prêtres et les religieux en âge d’être engagés à répondre à l’appel à la mobilisation. Ce qu’ils font comme un seul homme : selon l’historien Xavier Boniface, ils sont au total près de 32 000, auxquels il convient d’ajouter plus de 12 000 religieuses.
L’apport du clergé catholique à l’effort de guerre français a donc été important. Comme la législation le prévoyait, le gros des effectifs comprenait des aumôniers et des combattants. Il y a eu, durant toute la guerre, pas loin de 1 000 aumôniers officiels (400 titulaires, 600 volontaires) et 31 000 combattants qui étaient prêtres (19 000), séminaristes (4 000), religieux ou novices (8 000) et pouvaient aussi avoir un rôle d’aumônier officieux.
(Antoine Fouchet, La Croix, novembre 2014)
Omer Denis, un prêtre sous la mitraille
Omer Denis, un prêtre sous la mitraille (CFRT - Le Jour du Seigneur, 2014, 26 min)
Au cœur de l’enfer des tranchées de 14-18 se trouve l’aumônier Omer Denis. Grâce à la tenue de ses carnets de guerre, nous prenons conscience du rôle difficile des aumôniers de guerre en cette période aussi bien belliqueuse qu’anticléricale. Pour lutter contre les rumeurs faisant des clercs catholiques des embusqués, Omer Denis demande à être muté au plus proche des combats. Il se retrouve à devoir tenir un rôle humanitaire et moral. Il doit être avec les soldats et les écouter, faire face aux conflits tout en étant pacifique. Il se trouve face au dilemme : comment être un homme de Dieu tout en étant un homme ?
Au milieu de la souffrance, des violences, du quotidien sans repères spirituels, le doute fait surface et une question émerge : « Où est Dieu ? ». Quand les passions humaines surpassent l’Évangile et que l’acédie spirituelle s’empare du prêtre, comment faire ? L’horreur qui perdure trop longtemps éteint les espoirs et la foi des soldats. Et pourtant, à la fin de la guerre, c’est l’Union sacrée : la République et l’Eglise catholique se réconcilient grâce aux aumôniers dévoués des champs de batailles.
(Source : CFRT - Le Jour du Seigneur)
Dans la tranchée : « Disons, mes chers amis, une prière pour nos morts. » (1916)
En 1914, quand éclate le conflit, les tensions entre l'Église catholique et l'État provoquées par les mesures anticléricales prises sous la IIIème République s'apaisent à l'appel de l' « Union sacrée » des Français. Le ministère de la guerre autorise la désignation d'aumôniers volontaires aux côtés de la centaine d'aumôniers titulaires que comptait l'armée.
Entre 800 et 1000 aumôniers catholiques, selon l'historien Xavier Boniface, accompagneront les troupes durant les quatre années de guerre et environ 30.000 religieux participeront aux combats.
Les prêtres et séminaristes qui, depuis la loi de 1889 dite des « curés sac au dos », étaient mobilisables dans les services de santé, sont, tout au long du conflit, envoyés dans les unités combattantes en vertu de la loi du 21 mars 1905 supprimant toutes les exemptions.
Les prêtres, combattants, infirmiers ou brancardiers sont souvent amenés à suppléer les aumôniers et célébrer des messes dans les zones de combat. À cette fin, des associations religieuses envoient vers le front des colis contenant le matériel nécessaire à la célébration de l'office divin.
(Camile Lestienne, Le Figaro, juillet 2014)
La dévotion au Sacré-Cœur pendant la Grande Guerre
Pendant la Grande Guerre, la dévotion au Sacré-Cœur a pris une dimension particulière en France. En raison des tourments liés à la guerre, les catholiques de France cherchent refuge et consolation auprès de lui et de ses promesses.
La dévotion au Sacré-Cœur prend sa source le Jeudi saint, pendant la Cène, quand Jean repose sa tête sur le cœur du Christ. Quelque heure plus tard, l’apôtre voit ce divin cœur transpercé par la lance du soldat romain, le sang et l’eau en jaillir. Présente depuis les origines du christianisme, cette dévotion s’épanouit progressivement pendant le Moyen Âge. Mais c’est sainte Marguerite-Marie, à Paray-le-Monial, qui devient, au XVIIe siècle, la grande missionnaire du Cœur Sacré de Jésus.
En 1914, la dévotion au Sacré-Cœur est bien connue, grâce à la fête du Sacré-Cœur instituée en France depuis presque deux siècles, grâce aussi à l’érection de la basilique de Montmartre. En raison des tourments liés à la guerre, les catholiques de France cherchent refuge et consolation auprès du Sacré-Cœur et de ses promesses. Deux demandes du Christ n’ont pas encore été honorées : l’apposition du Sacré-Cœur sur le drapeau national et la consécration du pays par l’autorité civile.
Le « réveil » religieux de la Première Guerre mondiale
Xavier Boniface est professeur d’histoire contemporaine à l'Université de Picardie Jules Verne et auteur de "L'Histoire religieuse de la Grande Guerre" (Fayard, 2014). Il revient pour Aleteia sur les aspects religieux du premier conflit mondial.
(Benjamin Fayet, Aleteia, novembre 2017)
Novembre 2018, la religion des tranchées
Émission historique consacrée aux chrétiens en 1918 en parlant de la fin de la guerre. Ont-ils soutenu massivement la République en guerre, alors que depuis 1905 ils étaient plutôt visés par les lois de Séparation ? Que sont-ils devenus ? En quoi la guerre modifie-t-elle non seulement leur position sociale, mais aussi, peut-être leur foi ? Comment ont vécu les diocèses en guerre ? Pour le savoir, Régis Burnet reçoit deux invités : Bruno Bethouart, professeur des universités en histoire contemporaine, président du carrefour d´histoire religieuse, et Frédéric Gugelot, historien, spécialiste d'histoire culturelle et religieuse, professeur d'histoire contemporaine à l'université de Reims.
Novembre 2018, la religion des tranchées (KTO TV, La foi prise aux mots, 10 novembre 2020)
Lettre d’un jeune prêtre à ses sœurs, Mort pour la France en 1916
Ma bien chère petite Édith, ma bien chère petite Alice,
Si vous recevez cette lettre, c’est que le bon Dieu aura accepté le sacrifice que, depuis longtemps déjà, je lui ai fait de ma vie. Avec moi, mes bien chères petites, il faudra, non pas pleurer, mais remercier Dieu, qui aura exaucé ma prière. Elle a toujours été en effet : mon Dieu, faites en moi votre sainte volonté. Si, fidèle à votre grâce, je puis vivre uni à vous malgré les distractions, les tentations, les épreuves, devenir même, à cause d’elles, meilleur et plus saint... J’accepte avec amour de vivre, quelles que soient les croix à porter. Mais si, cédant à ma faiblesse, je dois vieillir en devenant moins prêtre, en comprenant moins la croix, si je dois me rechercher et travailler pour moi, au lieu de travailler pour les âmes et en définitive pour Dieu, prenez-moi de suite près de vous, pour que, du moins, vous retiriez de ma mort ce que je n’aurais pas eu le courage de vous donner par ma vie : un peu de bien fait aux âmes, un peu d’amour et de gloire pour vous... Il faudra vous dire, mes chères petites sœurs,... et vous ferez savoir tout cela à Papa, Fernand, Violette et Madeleine, que, maintenant plus que jamais, j’aime chacun de vous ; que je veille davantage sur vos âmes ; que je vous suis dans chacune de vos journées, partageant vos joies et vos peines... Vous prierez aussi pour que ma mort obtienne de Dieu ce que je lui demande en lui offrant ma vie. Mon Dieu, je vous offre mon pauvre sang, afin que votre règne arrive, et que votre volonté soit faite ; établissez votre règne dans toutes les âmes !
Extrait d’une prière à la Vierge Marie "Ô Mère, veillez!"
Sur la sentinelle avancée qui, dans la nuit froide et noire,
veille sur nos armées...
Ô Mère veillez !
Sur le soldat veillant dans la tranchée
et que la mitraille arrose sans relâche...
Ô Mère veillez !
Sur le pauvre blessé qui, tombé sur le champ de bataille,
souffre et gémit dans la nuit glacée...
Ô Mère veillez !
Sur le brancardier qui relève les blessés et les morts,
l’infirmier, l’infirmière et le médecin qui se dévouent sans trêve...
Ô Mère veillez !
Sur la veuve et l’orphelin en larmes ; la sœur qui pleure son frère,
la mère qui a perdu son fils, et le petit enfant qui prie pour son père...
Ô Mère veillez !
Sur la France dont le cœur saigne, qui veut le bonheur de ses enfants,
et attend la victoire et la paix...
Ô Mère, veillez !